Culture et art

Hella Feki ''Une reine sans royaume'' : La souveraine oubliée et les lumières de Tunis

 Avec "Une reine sans royaume", paru en août 2024 aux éditions JC Lattès, Hella Feki ressuscite la voix et la mémoire de Ranavalona III, dernière reine de Madagascar, balayée par la vague coloniale et reléguée aux marges de l’Histoire. 

Dans une langue à la fois érudite et poétique, l’autrice tisse un récit mêlant roman historique, méditation sur l’exil et regard féministe sur les traces effacées du pouvoir au féminin. Le cœur du texte bat autour d’un épisode méconnu mais décisif : le séjour de la reine à Tunis en 1907.
Un roman historique à hauteur de femme:
 
Publié dans la collection "La Grenade" dirigée par Caroline Laurent — dédiée aux voix féminines issues des divers mondes francophones  "Une reine sans royaume" (192 pages, ISBN : 9782709675178) retrace avec sensibilité et profondeur la trajectoire de Ranavalona III, souveraine malgache déchue par la France en 1897.
Exilée de La Réunion à Alger en passant par Paris, la reine devient peu à peu une figure d’apparat, vidée de sa substance politique. Mais Hella Feki éclaire une halte oubliée : son passage par Tunis, en 1907, entre deux étapes d’exil. Ce moment suspendu devient un espace de réinvention intime et collective, où s’esquissent d’autres formes de résistance et de liberté.
Écrit en partie lors d’une résidence d’écriture à la Maison du Goupillou (Charente), le roman s’inscrit dans une littérature exigeante mais accessible, alliant rigueur documentaire et souffle narratif, tout en interrogeant les angles morts des archives coloniales.
Tunis, carrefour de mémoire et d’émancipation:
Ce que l’Histoire officielle a longtemps laissé dans l’ombre, le roman le révèle avec délicatesse. À Tunis, alors sous protectorat français, Ranavalona découvre une effervescence intellectuelle inattendue : des femmes y tiennent salon, débattent, écrivent, s’organisent. Ces souveraines d’un autre genre, éclairées et militantes, incarnent un féminisme ancré dans la spiritualité, la pensée politique et l’expérience quotidienne.
Au contact de ces femmes, la reine exilée retrouve un souffle, une dignité, un espace de pensée. Tunis devient alors bien plus qu’une étape : un lieu de ressourcement, un miroir d’elle-même, une capitale-mémoire.
Ce lien intime entre la reine et la Tunisie fait écho au parcours de l’autrice. Née à Tunis, Hella Feki y a vécu ses vingt premières années avant de s’installer en France. Ce double ancrage irrigue son écriture, lui conférant une profondeur singulière, à la fois personnelle et politique.
Féminismes en exil, voix croisées face au silence:
 
Plus qu’un simple portrait biographique, "Une reine sans royaume" est un roman d’idées, tissé de résistances subtiles. Il revisite les silences entourant la mort mystérieuse du mari de la reine, la pression exercée par les hommes de pouvoir, la solitude des figures déplacées, et le regard ambigu porté par les élites coloniales sur les souverains "dépossédés".
Mais c’est surtout la mise en dialogue des exils féminins — dans leur diversité et leur complexité — qui donne au roman sa puissance. À travers les conversations, les gestes, les silences et les complicités entre femmes, se dessine un féminisme discret mais enraciné, à la fois local et universel, lucide et porteur d’espoir.
Une écriture à la croisée des langues et des luttes:
Franco‑tunisienne, polyglotte, poétesse et enseignante, Hella Feki s’affirme comme une voix essentielle de la francophonie contemporaine. Après plusieurs recueils de poésie remarqués, elle entre dans le roman avec une plume à la fois rigoureuse et vibrante.
Dans "Une reine sans royaume", elle explore les failles de l’Histoire avec tendresse et lucidité, et rend hommage à une femme que le silence menaçait d’effacer. Par la littérature, elle répare une mémoire, ravive une présence, et rappelle que l’exil peut aussi devenir lieu d’éclosion.