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Zoubeida Bchir : la pionnière de la poésie féminine tunisienne

 La Tunisie commémore aujourd’hui l’anniversaire de la disparition de Zoubeida B'chir (زبيدة بشير), poétesse et productrice de radio, considérée comme l’une des premières voix féminines à avoir marqué la scène littéraire nationale.

Née le 8 février 1938 à Sakiet Sidi Youssef (gouvernorat du Kef), d’une famille originaire d’Oued Souf en Algérie, Zoubeida Bchir grandit dans un environnement modeste. Privée d’école, elle reçoit une instruction traditionaliste à domicile et s’initie seule à la lecture et à l’écriture. Très tôt, les livres et la radio deviennent ses compagnons, et c’est par leur intermédiaire qu’elle se forge une culture et une sensibilité artistique.
En 1958, à seulement vingt ans, elle remporte un prix littéraire de Radio-Paris pour une nouvelle en arabe, Annagham al-hazin. L’année suivante, elle est à nouveau distinguée, cette fois pour son poème "Al-hobb adhaeâ". Ses textes séduisent également Radio Tunis, où ses poèmes sont primés. Repérée par le président Habib Bourguiba, fervent auditeur de la radio, elle intègre en 1959 l’institution où elle passera plus de vingt ans, tour à tour présentatrice, lectrice des bulletins d’information et productrice d’émissions culturelles comme "Mouradafet" ou "Likaa al-ahebba'.
Une écriture audacieuse
 
Encouragée par Mustapha Khraïef, qui signe la préface de son premier recueil, Zoubeida Bchir publie en 1967 "Hanin" (Nostalgie). Ce livre marque une étape majeure : il s’agit du premier recueil de poésie publié par une femme tunisienne. Son écriture, libre et rythmée, aborde l’amour et le désir avec une audace rare à l’époque. Certains y voient une innovation courageuse, d’autres un scandale. Dans le poème "Hanin", elle écrit notamment :
« Nuits de chaleur entre ses bras / L’amour reviendra-t-il au cœur qui vit sur ses douleurs… »
Le succès est au rendez-vous, notamment grâce au soutien d’Henri Smadja, patron de La Presse de Tunisie, qui croit en son talent. Elle publiera plus tard un second recueil, Alaa (Grâces), mais choisira peu à peu de se retirer de la scène culturelle.
En 1968, un retour à Sakiet Sidi Youssef, marqué par le souvenir douloureux du bombardement de 1958, l’éloigne encore davantage de la vie littéraire. Dans les années 1980, elle se consacre uniquement à l’animation radiophonique avant de se retirer définitivement. Pendant près de deux décennies, son nom disparaît des radars culturels, avant de réapparaître brièvement en 2011, à l’occasion d’une contribution à une œuvre collective sur la révolution tunisienne. Elle s’éteint la même année, le 21 août 2011, à Tunis.
Un héritage vivant
Pour honorer sa mémoire et son rôle pionnier, la Tunisie a institué en 1995 le Prix national Zoubeida Bchir, organisé par le Centre de recherches, d’études, de documentation et d’information sur la femme (CREDIF) en partenariat avec le Club Tahar Haddad, sous la tutelle du Ministère de la Famille, de la Femme, de l’Enfance et des Personnes âgées. 
Décerné chaque année lors de la Journée internationale de la femme, ce prix distingue les Tunisiennes dans les domaines littéraire, scientifique et intellectuel.
Devenu au fil des ans un véritable acquis national, le prix perpétue l’héritage de Zoubeida Bchir en donnant voix aux plumes féminines d’aujourd’hui, confirmant ainsi que son nom reste indissociable de la créativité et de la liberté d’expression au féminin en Tunisie.